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Entreprise libérée et performance économique

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Vous avez dit « Entreprise libérée » ? Le concept est loin d’être récent mais la crise économique conjuguée à une remise en cause croissante de la légitimité de la hiérarchie par les salariés l’ont remis au goût du jour. L’idée est simple : moins de contrôle des collaborateurs pour plus d’innovation, de bien-être, voire de santé au travail, et de performance. Mais peut-on croire en un tel modèle en France ?

Qu’est-ce qu’une entreprise libérée ?

Sa promesse est noble : rendre l’entreprise plus performante avec des employés libérés de la hiérarchie et du contrôle et rendre les collaborateurs plus sereins au travail, fiers de leurs missions et d’eux-mêmes.

Popularisée à partir de 2009 par Isaac Getz, professeur de leadership et de l’innovation à l’ESCP Europe, l’entreprise libérée s’oppose à une organisation noyée dans la bureaucratie, les processus informatisés, les règlements, les procédures, le contrôle, l’audit, les comités, le reporting…

Quel est l’objectif de ce modèle ? Que les employés s’organisent librement, qu’ils soient plus responsables et plus “heureux” dans le cadre de leur travail.

 

L’entreprise libérée est-elle applicable en France ?

Ce modèle d’entreprise, peu enseigné dans les écoles, n’appartient pas aux définitions généralement véhiculées sur l’entreprise et n’est pas labellisé en tant que tel. Mais il intéresse aujourd’hui de grandes structures comme Michelin ou le Groupe Mulliez et trouve un engouement de plus en plus fort auprès d’une population constituée de consultants et de coachs. Pour autant, Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS, insiste sur le fait que peu d’enquêtes ont à ce jour analysé les résultats tangibles d’une telle pratique, les obstacles à surmonter, les bilans qu’en tirent les salariés et la manière dont réagissent les syndicats. Danièle Linhart préfère évoquer une entreprise progressiste, qui pourrait s’exprimer en France avec succès et répondre positivement à l’expression croissante d’un besoin de changement de la relation au travail.

De l’entreprise libérée à l’entreprise progressiste

“Si une entreprise libérée est une entreprise non soumise aux contraintes juridiques, administratives et sociales, c’est plutôt le patron que l’on libère, estime la chercheuse. Il s’agit donc, plus pour moi, de trouver les modalités de nature à assurer aussi bien le développement économique de l’entreprise que le développement personnel des collaborateurs. […] Les collaborateurs, ont avant tout besoin d’être perçus comme des professionnels se réalisant dans leur métier et profitant à leur entreprise.”

La France reste un pays où le travail est un élément central de la réalisation de soi mais où les salariés, tout comme les managers, sont soumis à des politiques de changements constantes, des contrôles intempestifs, un état d’urgence latent et donc, une pression croissante et handicapante.

De fait, Danièle Linhart insiste sur « un management tourné vers les collaborateurs, basé sur la confiance, l’écoute, conçu pour associer chacun aux réformes de l’entreprise et capable de tirer des bilans de son action ». Clés de voûte de tout cela : une meilleure formation des managers dans les écoles, moins clivante, axée sur la collaboration et les synergies.

“D’une façon générale, conclut-elle, il faut stopper les mises en concurrence systématiques car les travailleurs se sentent pressés en permanence, comme en situation d’apprentissage éternel et en souffrent beaucoup. C’est là, en effet, une question de santé au travail et de santé économique de nos sociétés.”

 

Entreprise libérée : un succès reconnu

Chez Techné, installé dans les environs de Lyon et spécialisé dans la fabrication de joints d’étanchéité, on pratique l’entreprise libérée depuis plus de 30 ans. Georges Fontaines, son créateur et actuel président du Conseil de surveillance, est un fervent défenseur de ce qu’il appelle l’entreprise de la compétence et de l’intelligence collective. Au sein de cette société de 350 personnes réalisant 40 millions d’euros de chiffres d’affaires, dont 50 % à l’export, les horaires sont libres et chaque salaire est constitué d’une partie fixe indexée sur le niveau de compétences et d’une partie variable en fonction du chiffre d’affaires mensuel.

“Nous avons besoin de fraîcheur dans nos sociétés, d’une jeunesse aux yeux pétillants et à l’envie d’innover… Il faut susciter tout cela en réduisant au maximum les circuits hiérarchiques, en prônant la liberté de temps, d’opinion, d’innovation et aussi le droit à l’échec. Il n’y a pas de n, de n-1 ou de n-2 chez nous !” “Une entreprise ne peut fonctionner efficacement que grâce à l’intelligence collective. L’intelligence individuelle ne sert à rien !”

Découvrez comment Georges Fontaines a mis en oeuvre le concept d’entreprise libérée chez Techné

 

Quels sont les avantages et les limites d’un tel “business model” ?

L’entreprise libérée apporte davantage d’engagement de la part des collaborateurs, une motivation plus soutenue, un allègement des coûts de structure générant une création de valeur accrue et surtout l’ouverture d’espaces d’innovation inattendus en raison de l’auto-régulation des salariés.

Si la rentabilité est souvent au rendez-vous, Pierre-Yves Gomez, professeur de management et directeur de l’Institut français de gouvernement des entreprises à emlyon business school, pointe néanmoins des limites auxquelles veiller :

” Avec la disparition des hiérarchies traditionnelles et la perte des repères habituels, l’entreprise libérée peut créer du stress chez certains collaborateurs, y compris chez des managers ayant subitement le sentiment d’une inutilité. D’autre part, pour qu’elle soit une réussite, un engagement sans faille du dirigeant est nécessaire “.

 

L’entreprise libérée convient-elle aux PME ?

Pour Pierre-Yves Gomez, il s’agit d’un mouvement spontané de remise en cause de l’organisation des entreprises, observable dans une centaine de TPE-PME et aujourd’hui très présent dans les réflexions sur l’évolution des entreprises. “C’est un modèle de transformation particulièrement adapté aux PME et aux TPE, dit-il, où les lignes hiérarchiques sont à la fois plus coûteuses et plus inutiles qu’ailleurs car la communauté de travail fonctionne en général assez bien”.

Découvrez le témoignage vidéo de Pierre-Yves GOMEZ

 

Le cas d’école de Sogilis, l’exemple type de la PME libérée.

Créée en 2008 sur le secteur du développement de logiciels, Sogilis s’avère plutôt innovante et affiche une moyenne d’âge de ses collaborateurs autour de 30 ans. Installée à Grenoble, elle emploie 24 salariés et réalise un chiffre d’affaires de plus d’1 million d’euros. Ses postulats de base : pas de managers – donc pas de hiérarchie – pas de contraintes horaires et un principe d’autonomie appliqué à chaque salarié. « Notre équipe pluridisciplinaire se fédère autour d’un sujet, d’une passion commune », explique Myriam Menneteau, sa jeune chargée de communication.

Christophe Baillon, PDG de Sogilis, témoigne

  Au sein de Sogilis, la peur d’échouer n’existe pas et les idées fusent de manière spontanée.

“Pour que cela fonctionne, poursuit Myriam Menneteau, il convient bien entendu de recruter les bonnes personnes aux bons postes, partageant les mêmes valeurs d’indépendance et d’autonomie. […]”

Myriam Menneteau évoque un bien-être réel au sein de son entreprise et des collaborateurs tout à la fois respectueux de leur patron, des résultats à atteindre, de leurs obligations et de leurs collègues.