La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail a été publiée au Journal Officiel du 3 août. Elle transpose l’Accord National Interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail signé par les partenaires sociaux le 9 décembre 2020.
Cette réforme du système de santé au travail poursuit 4 grands objectifs :
- renforcer la prévention dans les entreprises tout en décloisonnant la santé publique et la santé au travail ;
- définir l’offre socle que devront fournir les services de santé au travail ;
- améliorer l’accompagnement de certains publics vulnérables pour lutter contre la désinsertion professionnelle ;
- réorganiser la gouvernance de la prévention et de la santé au travail.
Quelles conséquences de la réforme pour les entreprises ?
« Prévenir plutôt que guérir : renforcer la culture de la prévention »
La loi met l’accent sur la prévention primaire et réaffirme la volonté affichée par les partenaires sociaux de promouvoir la qualité de vie au travail en articulation avec la santé au travail.
Renforcement de l’Évaluation des Risques Professionnels – Document Unique (DUERP)
En définissant légalement le contenu du Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP), la loi réaffirme sa place dans la stratégie de prévention de l’employeur.
Définition : le DUERP répertorie l’ensemble des risques professionnels auxquels sont exposés les travailleurs et assure la traçabilité collective de ces expositions. L’employeur doit transcrire et mettre à jour dans le DUERP les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.
Les modalités de conservation et de mise à disposition du DUERP sont précisées :
- le DUERP devra être conservé et mis à disposition pendant au moins 40 ans.
- il devra faire l’objet d’un dépôt dématérialisé sur un portail numérique déployé et administré par un organisme géré par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel. La date de mise en œuvre est fixée au 1er septembre 2023 pour les entreprises dont l’effectif est supérieur à 150 salariés et au plus tard, à compter du 1er juillet 2024 pour les entreprises dont l’effectif est inférieur à 150 salariés. L’objectif du dépôt dématérialisé est de garantir la conservation et la mise à disposition du document unique.
Réaffirmation de la finalité du DUERP : permettre à l’employeur de définir les mesures de prévention nécessaires.
Cette obligation est fonction de l’effectif de l’entreprise :
- Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, les résultats de l’évaluation des risques doivent déboucher sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail dont le contenu est précisé : définir la liste détaillée des mesures devant être prises au cours de l’année à venir (mesures de prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels ainsi que, pour chaque mesure, ses conditions d’exécution, des indicateurs de résultat et l’estimation de son coût) ; identifier les ressources de l’entreprise pouvant être mobilisées ; définir le calendrier de mise en œuvre.
- Dans les entreprises de moins de 50 salariés, les résultats de l’évaluation des risques doivent déboucher sur la définition d’actions de prévention des risques et de protection des salariés. La liste de ces actions doit être consignée dans le DUERP et ses mises à jour.
Les acteurs, partie prenante, dans la réalisation du DUERP
- Le Comité Social Économique (CSE) et la Commission Santé Sécurité (CSS), lorsqu’elle existe,
- le ou les salariés compétents en matière de santé et de sécurité (communément appelés « référents sécurité »), s’ils ont été désignés,
- l’Intervenant en Prévention des Risques Professionnels (IPRP)
- et le Service de Prévention Santé au Travail (SPST)
contribuent à l’élaboration du DUERP. L’employeur devra, à chaque mise à jour, transmettre le DUERP au SPST auquel il adhère.
Rôle du CSE en matière de prévention des risques professionnels
- Dans les entreprises de 50 salariés ou plus : le CSE participe à l’analyse des risques professionnels et doit désormais être consulté sur le DUERP et ses mises à jour, en plus de sa participation à l’analyse des risques professionnels.
- Dans les entreprises de moins de 50 salariés : la liste des actions de prévention des risques et de protection des salariés, définie dans le DUERP, doit être présentée au CSE.
Renforcement du dialogue social sur la Qualité de Vie et les Conditions de Travail (QVTC)
La QVT devient la QVCT (Qualité de Vie et Conditions de Travail)
Au-delà du simple changement de nom, il s’agit de réaffirmer le lien entre le travail, ses conditions de réalisation et la santé au travail. Les partenaires sociaux dans l’ANI du 9 décembre 2020 avaient proposé d’élargir la notion de Qualité de Vie, aux Conditions de Travail (QVCT), afin de dépasser l’approche traditionnelle par les risques professionnels et renforcer la prévention primaire.
La crise sanitaire a renforcé les attentes des salariés en matière de sens, d’utilité sociale d’où l’importance accordée au contenu du travail, comme déterminant de la santé.
Les conditions de travail, nouveau thème de négociation dans l’entreprise
Avec la QVCT, les conditions de travail deviennent un thème de négociation périodique dans l’entreprise. Ainsi, à compter du 31 mars 2022, la négociation obligatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pourra également porter sur la qualité des conditions de travail, notamment sur la santé et la sécurité au travail et la prévention des risques professionnels.
Renforcement de la formation Santé Sécurité et Condition de Travail du CSE
- Lors du 1er mandat, la formation des élus du CSE est de 5 jours
- Lors du renouvellement de ce mandat, la formation des élus du CSE est de 3 jours, quelle que soit la taille de l’entreprise et de 5 jours pour les membres de la Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail dans les entreprises d’au moins 300 salariés.
Prévention de la désinsertion professionnelle : mise en place d’un rendez-vous de liaison
La loi crée le rendez-vous de liaison entre le salarié en arrêt de travail et son employeur. Ce rendez-vous, auquel est associé le Service de Prévention Santé au Travail (SPST), concerne les arrêts de travail d’une certaine durée (qui reste à définir par décret). L’objectif est d’informer le salarié de la possibilité de bénéficier d’actions de prévention de la désinsertion professionnelle, d’un examen de pré reprise et de mesures d’aménagement du poste et du temps de travail. Le rendez-vous est organisé à l’initiative de l’employeur ou du salarié.
Création d’un passeport prévention
Le passeport prévention devra être mis en place au plus tard le 1er octobre 2022. Il regroupera les attestations, certificats et diplômes obtenus par chaque travailleur dans le cadre des formations relatives à la santé et à la sécurité au travail. Il sera renseigné par les employeurs, les organismes de formation mais aussi par les travailleurs eux-mêmes lorsqu’ils ont suivi ces formations de leur propre initiative.
Définition du harcèlement sexuel
La loi harmonise la définition du harcèlement sexuel entre le Code du travail et le Code pénal. Elle précise que les propos ou comportements à connotation sexiste peuvent également caractériser des faits de harcèlement sexuel. Ainsi le harcèlement sexuel peut être constitué lorsque :
- un même salarié subit propos ou comportements sexistes venant de plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée ;
- un même salarié subit de tels propos ou comportements, successivement, venant de plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.
L’élément intentionnel pour constituer le harcèlement n’est pas retenu dans le Code du travail, à la différence de la définition du Code pénal ; par conséquent, la charge de la preuve n’incombe pas au salarié qui se dit victime de harcèlement.
Quels sont les principaux changements dans l’organisation des services de santé au travail ?
Les services de santé au travail deviennent les Services de Prévention Santé au Travail (SPST)
Au-delà du changement de dénomination, le législateur élargit le champ d’intervention des Services de Prévention Santé au Travail (SPST) et organise la collaboration entre médecine de ville et médecine du travail. Cela se traduit par :
Missions élargies des SPST
En complément de leur mission principale (éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail), les SPST devront notamment :
- Contribuer à la réalisation d’objectifs de santé publique afin de préserver, au cours de la vie professionnelle, un état de santé du travailleur compatible avec son maintien en emploi.
- Apporter leur aide à l’entreprise, de manière pluridisciplinaire, pour l’évaluation et la prévention des risques professionnels
- Tenir compte de l’impact du télétravail sur la santé et l’organisation du travail
- Participer à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination et de dépistage, des actions de sensibilisation aux bénéfices de la pratique sportive et des actions d’information et de sensibilisation aux situations de handicap au travail
- Accompagner l’employeur, les travailleurs et leurs représentants dans l’analyse de l’impact sur les conditions de santé et de sécurité des travailleurs, de changements organisationnels importants dans l’entreprise
Mise en place d’une offre socle de services
Les Services Prévention Santé au Travail (SPST) devront mettre en place une offre socle de services dont l’objectif est de prévenir les risques professionnels, d’assurer un suivi individuel des travailleurs et de prévenir la désinsertion professionnelle.
La liste et les modalités de ces services devront être définies par le comité national de prévention et de santé au travail (nouvelle instance créée par la loi) ou, en l’absence de décision du comité, par décret en Conseil d’État.
La loi prévoit en outre que chaque SPST devra faire l’objet d’une procédure de certification par un organisme indépendant.
Prévention de la désinsertion professionnelle
Mise en place d’une cellule pluridisciplinaire de prévention de la désinsertion professionnelle
Elle est animée par un médecin du travail ou un membre de l’équipe pluridisciplinaire désigné par lui et agissant sous sa responsabilité. Elle a pour missions :
- de proposer des actions de sensibilisation ;
- d’identifier les situations individuelles ;
- de proposer, en lien avec l’employeur et les travailleurs des mesures individuelles d’aménagement d’adaptation ou de transformation du poste de travail ;
Création d’une visite médicale de mi-carrière
Les salariés seront examinés par le médecin du travail au cours d’une visite médicale de mi-carrière, organisée à une échéance déterminée par accord de branche ou, à défaut, durant l’année civile de leur 45e anniversaire.
Cette visite a pour objectif, outre de faire un état des lieux de l’adéquation entre le poste de travail et l’état de santé du salarié, de permettre une évaluation du risque de désinsertion professionnelle et une sensibilisation du travailleur aux problématiques relatives au vieillissement au travail et à la prévention des risques professionnels.
Renforcement de la collaboration entre la médecine du travail et la médecine de ville
Accès au Dossier Médical Partagé (DMP)
Le médecin du travail pourra avoir accès au Dossier Médical Partagé (DMP), après consentement du salarié, lequel pourra revenir à tout moment sur les conditions de cet accès. Le DMP comportera un volet relatif à la santé au travail dans lequel sont versés, sous réserve du consentement de l’intéressé préalablement informé, les éléments de son Dossier Médical en Santé au Travail (DMST) nécessaires au développement de la prévention ainsi qu’à la coordination, à la qualité et à la continuité des soins.
Suivi médical par un Médecin Praticien Correspondant (MPC)
Dans des zones caractérisées par un nombre insuffisant ou une disponibilité insuffisante de médecins du travail, un médecin praticien correspondant (MPC), qui détient une formation en médecine du travail, pourra contribuer, en lien avec le médecin du travail, au suivi médical des travailleurs qui ne font pas l’objet d’un suivi renforcé.
Le MPC devra conclure un protocole de collaboration avec le Service de Prévention Santé au Travail. Le MPC ne pourra pas cumuler sa fonction avec celle de médecin traitant.